Le blog de Klaus-Gerd Giesen


Les Océaniens dépendants des transferts de la diaspora

 

30 novembre 2016

 

Paradis tropicaux dans l’imaginaire collectif occidental, les micro-États insulaires d’Océanie figurent en réalité parmi les pays les plus pauvres de la planète. Ils sont tous - certes à des degrés divers - victimes de leurs isolement géographique et éloignement de leurs marchés d’exportation; du faible volume de leur population et, partant, de leur marché interne; des dotations factorielles très limitées et d’une offre de biens échangeables en gamme restreinte; d’une dépendance externe forte qui augmente la volatilité du processus de croissance; des coûts unitaires de transports relativement plus élevés en raison de l’insularité et de l’éloignement; d’un risque-pays important en raison de l’exposition aux risques sismiques et cycloniques qui accroît les coûts d’assurance et de réassurance et réduit l’attractivité pour les investissements directs étrangers; de l’impossibilité de réaliser des économies d’échelle en raison de la dispersion de l’espace national le plus souvent sur plusieurs îles, voire archipels; des relations privilégiées avec les anciennes tutelles coloniales; de la vulnérabilité de la production locale (surtout pêche, agriculture et tourisme) face aux désastres naturels.    

 

La confluence de tous ces facteurs maintient les îles du Pacifique dans une grande pauvreté et empêche leur développement économique (avec toutefois des écarts significatifs, par exemple entre Kiribati et les Îles Solomon d’une part, et Fidji, Tonga et Samoa d’autre part). Elle a engendré la notion de région ultrapériphérique dans le système capitaliste mondial. 

 

PIB par tête d'habitant (source: données du FMI)
PIB par tête d'habitant (source: données du FMI)

 

Il s’y ajoute que les effets adverses du changement climatique et de l'élévation du niveau de la mer représentent des risques supplémentaires incommensurables à moyen et à long terme. Certaines îles de faible altitude sont même menacées de ne plus pouvoir supporter de peuplement, voire même de disparition. Ainsi, le président Anote Tong de Kiribati, dont le gouvernement a acquis, il y a quatre ans, 2200 hectares de terrain sur l’île fijiéenne de Vanua Levu, a commencé dès avril 2013 à motiver les quelques 100 000 citoyens pour qu’ils évacuent simplement le territoire national qui sera devenu inhabitable d'ici quelques décennies.

 

Les gouvernements de la région couvrent l’essentiel de leurs budgets respectifs non pas par la ponction fiscale, mais par la vente de concessions d’exploitation de ressources naturelles (pêche industrielle, phosphate, or, forêts, etc.), ainsi que par l’aide bilatérale et multilatérale au développement (80% du budget de la Micronésie et 70% des Îles Marshall). D’autres formes de rente résident dans les droits de passage de navires de guerre étrangers sur les immenses eaux territoriales (Kribati), et dans des bases militaires étrangères (Îles Marshall); dans l’établissement d’un paradis fiscal off-shore, par exemple à Vanuatu, Tonga et Nauru, attirant de nombreuses institutions bancaires et financières pour le moins opaques ; dans un centre de rétention off-shore pour plus de 1000 réfugiés à Nauru en échange d’un versement de l’Etat australien à hauteur de 20% du budget gouvernemental ; dans la vente de passeports (Tonga, Vanuatu); dans la location d’un domaine internet intéressant (Tuvalu) ; dans la mise à disposition de casques bleus pour les opérations de maintien de la paix de l’ONU (Fiji).

 

Toutefois, une bonne partie des rentes ne profite nullement à la population appauvrie, notamment en raison de la corruption endémique que produit inévitablement toute économie non compétitive et fondée presque exclusivement sur la rente. Il en va de même par exemple pour la rente pétrolière de l’Algérie ou du Vénézuela. Puisque un chômage massif mine toutes les sociétés de l'Océanie insulaire (sans qu’il y ait des allocations de chômage!), de plus en plus d’habitants ne réussissent à survivre que grâce à l’augmentation substantielle des transferts de la diaspora, c’est-à-dire des sommes versées régulièrement à leurs familles par des travailleurs émigrés en Australie, en Nouvelle-Zélande ou aux Etats-Unis. Comme le démontre le graphique suivant, établi à partir de données de la Banque mondiale, le volume total a quintuplé en 15 ans :

Transferts de la diaspora océanienne vers les Etats insulaires (Source: données de la Banque mondiale)
Transferts de la diaspora océanienne vers les Etats insulaires (Source: données de la Banque mondiale)

 

En particulier, Samoa, Kiribati, Tuvalu et Fiji en dépendent lourdement pour quelque peu compenser l’absence de prestations sociales en cas d’aléas de la vie (chômage, vieillesse, maladie, handicap). L'explosion des transferts d'argent crée une forte inégalité sociale entre les citoyens disposant d’un accès privé, le plus souvent familial, aux ressources de la diaspora et ceux qui n’en disposent pas ou peu. Sociologiquement parlant, les remittances renforcent la structure clanique de la société. Sur le plan social ils maintiennent de nombreux individus dans la dépendance et l’assistance.

 

Cependant, les transferts des travailleurs émigrés permettent au moins à de nombreux Océaniens insulaires à s’en sortir, dans un système économique où moult produits de consommation courante doivent être importés de très loin et donc au prix fort. L’émigration d'un ou de plusieurs membres de la famille vers les pays nantis s'avère être tout simplement indispensable à leur survie.